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La dévaluation de l’immobilier en Russie

L’instabilité économique et les fluctuations du cours du rouble ont eu un impact direct sur le marché russe de la construction. Ces derniers mois ont en effet été marqués par la faillite de grandes entreprises et le repartage du marché. Quels sont les autres changements auxquels sont confrontés les acteurs russes et étrangers du marché de la construction et de l’immobilier depuis deux ans, et comment ce dernier s’adapte-t-il aux nouvelles réalités ? Analyse de L’économika.

Ces deux dernières années, le marché russe de la construction a connu des changements significatifs. Su-155, Mostovik, Zhilishchnyy Kapital, Morton : voilà la liste non exhaustive des grandes sociétés immobilières ayant fait faillite ou quitté le marché depuis 2014.

« La ruine de nombreux promoteurs immobiliers et sociétés de projets, souvent très expérimentés et professionnels, est liée à l’absence de financement et, partant, à la réduction du nombre de nouveaux projets », explique Anastasia Sementchenko, vice-directrice générale du bureau de projets MKZ. À l’en croire, un grand nombre d’entreprises ayant récemment fait faillite ont été placées dans des conditions difficiles, « avec des taux d’intérêt extrêmement élevés et sans financements suffisants de la part des clients, y compris en ce qui concerne les commandes publiques ».

L’une des faillites les plus retentissantes de ces dernières années est celle de la société omskovite Mostovik, connue pour ses grands projets d’infrastructures à travers le pays, en particulier le pont de l’île Rousski à Vladivostok ainsi que les sites des JO de Sotchi. Ces projets s’étant révélés déficitaires, Mostovik a cessé de rembourser ses crédits et a été déclarée en défaut de paiement en juin 2015. Le propriétaire de l’entreprise, Oleg Chichov, a été reconnu coupable de fraude fiscale et condamné à quatre ans de colonie pénitentiaire.

La dévaluation du rouble a particulièrement touché les acteurs moins importants du marché. Nombre d’entre eux ont dû restructurer leurs crédits en devises auprès des banques, et ceux qui travaillaient dans le segment premium et achetaient des matériaux de construction à l’étranger ont été contraints de réduire leur marge pour rester sur le marché. « En un an, les prix ont sensiblement augmenté, de 70 % par exemple en ce qui concerne les métaux laminés, les tuyaux et les armatures », commente Mme Sementchenko.

« L’année 2015 a été la plus difficile pour les promoteurs dans la mesure où ils ont essayé de restructurer leurs crédits : les loyers étaient en dollars et en euros, tout comme les crédits reçus par les promoteurs auprès des banques. Lorsque, sur fond de crise, les propriétaires ont été obligés de diminuer les loyers en dollars, les flux de trésorerie provenant des biens immobiliers ont chuté et les promoteurs ont dû négocier avec les banques », explique Nikolaï Kazanski, associé gérant de la société de conseil Colliers International.

« Le fait que les banques aient répondu aux souhaits des entreprises et aient décidé de ne pas saisir les biens immobiliers comme elles l’avaient fait lors de la crise de 2008, montre que le marché russe s’est développé et est devenu plus mature », commente Nikolaï Kazanski.

Dans l’ensemble, les experts reconnaissent que la crise actuelle a conduit à l’élargissement des acteurs du marché : les grosses sociétés absorbent de moyennes et grandes entreprises. Par exemple, A101 a été rachetée fin 2015 par le groupe Safmar (anciennement B&N), l’un des principaux rentiers en Russie ; FSK Leader a annoncé l’acquisition de Domostroïtelny kombinat n°1 (DSK-1) ; tandis que le groupe PIK a repris l’entreprise Morton. Le journal Vedomosti indiquait l’été dernier que le milliardaire Mikhaïl Prokhorov se préparait à mettre en vente le groupe immobilier OPIN, également un poids lourd sur le marché russe.

« En raison de cet élargissement, il est plus difficile pour de nouvelles firmes d’entrer sur le marché et d’y concurrencer les acteurs chevronnés », explique Pavel Bryzgalov, directeur du développement stratégique chez FSK Leader.

« Je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui une tendance sérieuse à la monopolisation du marché de la construction », tempère toutefois Anastasia Sementchenko.

Par ailleurs, les experts n’observent plus en 2016 le sentiment de désespoir qui s’était emparé des acteurs du marché l’année précédente sur fond de volatilité du rouble et d’escalade des tensions entre la Russie et l’Occident. Ils associent cet état de fait, d’une part, à la stabilisation de la devise russe et, d’autre part, au fait que les entreprises se sont progressivement adaptées à la nouvelle réalité qu’est la crise et ont commencé à jouer selon de nouvelles règles.

« La relative stabilité des prix et du cours monétaire que nous connaissons aujourd’hui a bien entendu une influence positive sur le marché », commente Nikolaï Kazanski. Ce dernier prévoit d’ailleurs une prochaine sortie de crise pour le secteur de la construction. « Cette sphère sortira de la crise en même temps que l’économie. Selon les dernières prévisions officielles, nous pouvons nous attendre prochainement à une croissance modeste du PIB et du commerce de détail, et c’est précisément ce dont le marché a besoin pour se développer », conclut le représentant de Colliers International.

Politique vs économie

Pour l’heure, les résultats ne sont toutefois guère réjouissants : selon les données de la société de conseil JLL, le taux de vacance sur le marché moscovite de l’immobilier d’entrepôt a par exemple atteint le niveau record de 13,5 %. Les experts expliquent cette croissance principalement par la libération des surfaces sur le marché secondaire, liée à la faillite ou au ralentissement de l’activité de nombreuses sociétés de construction.

Bien que, d’après JLL, on observe déjà une tendance positive en ce qui concerne l’afflux d’investissements dans l’immobilier, selon le cabinet de conseil Knight Frank, le volume d’investissements étrangers dans l’immobilier devrait atteindre en 2016 un seuil record de moins de 10 %. JLL évalue à 95 % la part des capitaux russes dans le volume total des transactions effectuées lors des trois premiers trimestres de 2016.

Cette situation n’est pas uniquement due à la dévaluation du rouble et à la réduction des bénéfices des investisseurs étrangers. « Investir dans l’immobilier, c’est investir sur le long terme. La réalisation d’un projet peut s’étendre sur dix ans, ce qui exige d’avoir une économie stable dans laquelle on investit, ainsi qu’un cadre politique et administratif sûr. Or, la conjoncture russe actuelle oblige les investisseurs à être dans l’expectative », explique l’architecte français Jean Pistre, qui a participé à une série de projets russes d’envergure, tel le technoparc Skolkovo.

Tant les analystes que les acteurs directs du marché reconnaissent que la crise actuelle se distingue de celle de 2008 en ce qu’elle n’est pas purement économique mais a également une composante politique. Par exemple, la dégradation des relations russo-occidentales a entraîné une fuite des capitaux étrangers. Qui plus est, les sanctions financières de l’Occident ont dressé des obstacles à l’obtention de financements.

« Le secteur de l’immobilier premium a connu un départ massif des expatriés, des Européens et des Américains qui travaillaient dans des bureaux de représentation russes de sociétés étrangères, ce qui a provoqué, au début de la crise, une chute de la demande dans le segment de la location de logements haut de gamme », explique Ekaterina Roumiantseva, présidente du conseil d’administration de l’agence immobilière Kalinka Group.

Les relations de la Russie avec l’Occident ne sont pas les seules en cause, c’est également le cas de celles avec la Turquie, qui participe activement à la construction immobilière en Russie. « Lors des tensions intergouvernementales avec la Turquie, les investisseurs et les sociétés de construction turcs se sont retrouvés menacés d’interdiction de poursuivre leurs activités en Russie », ajoute la représentante de Kalinka Group.

Si les relations russo-turques se stabilisent progressivement, l’établissement d’un contact avec l’Occident n’est pas près d’arriver. En outre, selon les intervenants du marché, ce ne sont pas tant les sanctions qui entravent l’activité des investisseurs étrangers en Russie que le climat de méfiance qui caractérise aujourd’hui le marché russe.

« Le problème réside davantage dans l’atmosphère générale de méfiance et dans l’incertitude relative aux futurs modèles économiques et à leur fiabilité. Même si la Russie est en mesure de faire face aux sanctions occidentales, la question numéro un reste la transparence de la politique », explique Jean Pistre.

Certains experts plus optimistes estiment toutefois que le pire est derrière nous. « Alors que 2014 et 2015 ont été marquées par une baisse des investissements étrangers, on observe en 2016 un afflux d’investisseurs étrangers qui, durant cette période, se sont partiellement adaptés à la situation. Il s’agit notamment des entreprises ayant localisé leur production en Russie », commente Anastasia Sementchenko.

La lumière au bout du tunnel ?

Les experts reconnaissent que si l’on considère les secteurs au cas par cas, c’est celui de la construction résidentielle qui traverse le mieux la crise actuelle. Selon les données de l’Agence fédérale russe de statistique Rosstat, la construction de logements a augmenté de 6,5 % en août 2016 par rapport au même mois en 2015 et la majorité des nouveaux logements sont construits dans les grandes villes, en particulier à Moscou et Saint-Pétersbourg.

« On observe un afflux constant de nouveaux arrivants dans les grandes villes, où le niveau relativement élevé des salaires (par rapport à ceux en régions) permet aux habitants d’acheter un appartement », note Mme Sementchenko.

Le développement du marché de l’immobilier résidentiel a en partie été aidé par la dévaluation du rouble. « L’affaiblissement de la devise russe a favorisé les contrats avec des clients étrangers, dans la mesure où, une fois converties en dollars et en euros, les offres immobilières à Moscou sont devenues presque deux fois plus accessibles aux Européens. Le marché immobilier russe est également devenu plus attractif pour les citoyens de l’étranger proche possédant des économies en dollars », affirme Ekaterina Roumiantseva, présidente du conseil d’administration de Kalinka Group.

Par ailleurs, on assiste à l’augmentation du nombre d’espaces commerciaux dans les grandes villes. Selon JLL, au 3e trimestre 2016, 190 200 m2 de surfaces commerciales de haute qualité ont été construits à Moscou, soit quatre fois plus qu’au 3e trimestre 2015.

« Cette année, on constate une amélioration de la situation sur le marché de l’immobilier commercial. Nous lions cela, premièrement, à la demande comprimée par la crise et, deuxièmement, au fait que les ménages ont toujours besoin de produits de grande consommation et d’aliments. Dans les régions, cette tendance est bien sûr plus faible qu’à Moscou, mais des chaînes de magasins comme Auchan et Leroy Merlin et leurs équivalents russes continuent à se développer sur tout le territoire russe », observe Anastasia Sementchenko.

Cependant, la construction des locaux commerciaux mis en exploitation en 2016 avait déjà commencé avant la crise. JLL prévoit en 2017 une baisse de 40 % du nombre de nouveaux centres commerciaux de haute qualité à Moscou par rapport à 2016. D’après les données du consultant immobilier, au 3e trimestre 2016, le taux de vacance dans les centres commerciaux moscovites a grimpé à 8,5 %.

« Les investissements les moins rationnels et les moins fondés aujourd’hui sont ceux faits dans les centres commerciaux et d’affaires étant donné que la conjoncture économique difficile y a entraîné une nette augmentation du taux de vacance, une baisse des loyers et, partant, un allongement du temps de retour sur investissement », observe Ekaterina Roumiantseva.

D’après Colliers International, au 1er semestre 2016, Moscou comptait près de 15 % de surfaces de bureaux vides. Les experts prédisent cependant la diminution prochaine de ce pourcentage.

« Compte tenu de la vitesse d’occupation des surfaces de bureaux enregistrée à Moscou ces derniers temps, le taux de vacance devrait être nul d’ici les trois prochaines années », estime Nikolaï Kazanski.

D’après lui, Moscou devrait ainsi de nouveau connaître une pénurie de bureaux étant donné que leur construction doit commencer dès aujourd’hui si l’on veut qu’ils soient mis en exploitation dans quatre ans. « Il faut rapidement occuper des bureaux car il n’y en aura pas pour tout le monde », conseille-t-il.

Les experts voient également des conditions propices à une augmentation des investissements dans l’immobilier commercial dans la politique des autorités moscovites, qui développent une série de projets d’infrastructures dans la capitale. Il s’agit par exemple de la ligne ferroviaire circulaire MTsK, inaugurée en septembre 2016, ainsi que de la construction de nouvelles stations de métro.

« Aujourd’hui, Moscou est la ville dont les rythmes de développement des infrastructures sont les plus élevés du monde. C’est ce que les promoteurs attendaient depuis très longtemps. Par exemple, la création de la nouvelle plateforme de correspondance qu’est le MTsK permet d’augmenter la valeur des terrains voisins, ce qui est très avantageux pour les promoteurs », conclut Nikolaï Kazanski.